L’Okoumé, le Kevazingo, le Padouk… Ces noms riment dans l’entendant des industriels, des exportateurs et des ébénistes du monde entier avec profit, mais ces bois rares, précieux, magnifiques, sont cependant devenus l’emblème du savoir-faire forestier du Bassin du Congo. Mais à quel prix ?
Sous la canopée luxuriante, un risque silencieux s’installe petit à petit : la surexploitation des essences les plus prisées menace l’équilibre écologique de toute une région. À l’ouverture de la conférence RACEWOOD 2025 qui s’est tenue à Pointe-Noire au Congo, le Gabon l’a clairement dit : il est temps de tourner la page d’un modèle extractive épuisé.
Ministre des Eaux et Forêts, Maurice Ntossui Allogo n’a pas mâché ses mots : « nous ne pouvons plus nous contenter d’extraire. » Le message est limpide. Pour espérer un avenir à la filière bois, il faut repenser notre rapport à la forêt.
Une biodiversité commerciale ignorée
Chaque année, ce sont les mêmes essences qui partent vers les ports d’Europe et d’Asie. Pourtant, la forêt regorge d’autres espèces, laissées de côté car méconnues ou jugées trop complexes à transformer. Une biodiversité forestière négligée au profit de standards commerciaux trop étroits.
Le Gabon, pionnier régional en matière de durabilité forestière, plaide aujourd’hui en faveur de la valorisation des essences dites « secondaires » ou « alternatives ». Non pas par nostalgie botanique, mais par nécessité écologique et économique. Moins connues ne veut pas dire moins utiles. Beaucoup d’entre elles présentent des caractéristiques botaniques et esthétiques adaptées à la menuiserie, à la construction ou au mobilier design.
Sortir du cercle vicieux de la demande internationale
Le Kevazingo est désormais sous haute surveillance, classé à l’annexe II de la CITES, après des années de coupes abusives. L’Okoumé, jadis surnommé « l’or rose du Gabon », souffre de la pression continue de l’exploitation et l’exportation. Si rien ne change, c’est toute la forêt qui paiera l’addition : érosion de la biodiversité, perte de services écosystémiques, dérèglements locaux.
En diversifiant les essences exploitées, on relâche la pression sur ces espèces en danger et on donne une chance aux autres de trouver leur place sur le marché. Mais cela demande une volonté politique forte, un accompagnement des industriels, et une campagne de sensibilisation en direction des consommateurs.
Redonner du sens à l’exploitation forestière
Le défi est immense, mais pas impossible. Le Gabon, depuis 2010, a interdit l’exportation de grumes, poussant à la transformation locale. Un geste fort, imité depuis par d’autres pays de la CEMAC. Aujourd’hui, la prochaine étape est claire : il faut aller au-delà de la production brute, favoriser l’innovation locale, et surtout reconnaître la valeur commerciale et écologique de la diversité forestière.
Lors du RACEWOOD 2025, les décideurs ont échangé sur l’impact des nouvelles régulations européennes, comme la RDUE, qui exigent désormais plus de garanties en matière de durabilité. Les pays producteurs n’ont plus le choix : il faut prouver qu’on peut exploiter sans détruire.
Diversifier pour durer
Si l’on veut préserver les forêts du Bassin du Congo, qui abritent l’un des plus grands puits de carbone de la planète, il est urgent de changer de logique. Valoriser les essences méconnues, c’est sortir du piège de la monoculture forestière et bâtir une économie plus résiliente.
Ce changement de paradigme, amorcé par le Gabon, mérite d’être amplifié. Il suppose une nouvelle culture forestière, où la rareté ne serait plus une opportunité de profit, mais un signal d’alarme.
Le message de Maurice Ntossui Allogo est clair : l’Afrique centrale ne veut plus être un simple fournisseur de matières premières. Elle veut transformer, innover, protéger. Et surtout, choisir un développement qui n’épuise pas les générations futures.
Wilfried Mba Nguema