Chaque année, le Gabon capte plus de 100 millions de tonnes de CO₂ qu’il n’en émet. Une prouesse écologique qui le place en tête des champions du climat à travers le monde. Et pourtant, derrière cette performance saluée dans toutes les COPs et forums internationaux, se cache un mécontentement : celui de la non-reconnaissance de cet effort. Le pays sauve la planète. Mais qui le sauve ?
Dans sa dernière Note de conjoncture économique, la Banque mondiale empile dans les colonnes de son rapport des chiffres : entre 2000 et 2020, les forêts gabonaises ont fourni des services écosystémiques – principalement la séquestration de carbone – estimés à 75,1 milliards de dollars. Cette estimation évaluée sur la période citée figure dans des versions récentes ou synthèses dérivées de la note de conjoncture ou d’autres publications complémentaires. Mais ici, l’accent est mis spécifiquement sur la valeur de la séquestration du carbone.
L’ironie est que 99 % de cette richesse repose sur un service vital au climat mondial, la séquestration de carbone et aucune contrepartie financière structurelle ne lui est liée.
Une autre estimation de la même institution, couvrant une période légèrement différente (1995 à 2020), évaluait ces services à 43,2 mille milliards de francs CFA (environ 72 milliards de dollars). Cette estimation provient de la même note de conjoncture économique sur le Gabon publiée par la Banque mondiale en 2025. Elle englobe l’ensemble des services fournis par les écosystèmes forestiers gabonais, pas seulement la séquestration du carbone
Deux chiffres, deux périodes, mais un même constat accablant : le Gabon offre un service climatique colossal au monde entier… Mais il n’a jamais été récompensé à la hauteur de ses efforts. En effet, le pays ne touche qu’une infime fraction de ce que ce service vaut réellement. Un paradoxe cruel qui n’a jamais cessé de faire l’objet de rappel de la part des président de la République, de Ali Bongo Ondimba à Brice Clotaire Oligui Nguema lors des rencontres internationales sur le climat qui de façon consensuelle, on tour à tour appelé au respect du prince de Pollueur-payeur.
Les marchés du carbone, censés corriger cette injustice, peinent à atteindre leur promesse. Complexes, opaques, souvent accaparés par les multinationales ou les pays du Nord, ils laissent les acteurs vertueux – comme le Gabon – sur le bas-côté de la finance climatique. Les discours abondent, les financements, eux, se font attendre.
Et pourtant, cela fait des années que le Gabon répète ses efforts. Il met en place des dispositifs de gestion durable de ses concessions forestières, sanctuarise des millions d’hectares, investit dans la surveillance satellite, engage des brigades contre le braconnage et détient l’un des taux de déforestation le plus bas de la planète (0,6%). Malheureusement, la reconnaissance internationale de ses efforts se fait toujours attendre au niveau national. Transferts verts, modèle économique qui valorise cette stratégie, le mérite écologique du Gabon se heurte au mur de l’économie réelle et des réseaux d’influences.
La question brûle les lèvres et elle dérange. Car à force de sacrifier ses ressources pour un avenir mondial commun, sans retour, le Gabon pourrait être tenté de changer de cap. Exploiter davantage. La tentation est là tant que les garanties ne seront pas mises sur la table. Comment justifier auprès des populations locales que préserver une forêt empêche de construire un hôpital ? En effet, comment demander aux jeunes de croire en la promesse verte, quand les milliards annoncés ne franchissent jamais les frontières ? Le vrai danger n’est pas la déforestation. Le vrai danger, c’est l’inaction face aux efforts et initiatives qui contrent la dérive du climat découragement.
Wilfried Mba Nguema