Paradoxalement, la pandémie de Covid-19, qui a bouleversé les sociétés humaines et fragilisé des économies entières, a offert à la faune sauvage, une sorte de répit. En Afrique centrale, et particulièrement au Gabon, où la viande de brousse occupe une place à la fois culturelle, nutritionnelle et économique, la crise sanitaire a perturbé les chaînes d’approvisionnement et modifié certains comportements de consommation. Pourtant, derrière cette accalmie apparente, la réalité demeure bien plus complexe.
Au début de la pandémie, la viande de brousse s’est retrouvée au cœur d’un débat mondial. Son lien potentiel avec la transmission de virus comme le VIH, Ebola ou le SRAS (coronavirus), a été largement mis en avant, et le coronavirus est venu raviver ces inquiétudes. Des mesures ont été prises rapidement. Au Gabon, la vente de pangolins et de chauves-souris a été interdite, tandis que des campagnes de sensibilisation ont été menées pour alerter sur les dangers sanitaires. Ce contexte exceptionnel a effectivement contribué à une réduction de la consommation de la viande brousse dans certains pays de la région.
Au Cameroun, près de 47% des personnes interrogées ont déclaré avoir réduit leur consommation de viande de brousse en 2021. En République Démocratique du Congo (RDC), elles étaient de 32%. Bien que les données spécifiques au Gabon soient encore rares, les tendances régionales laissent penser que des changements similaires ont pu s’opérer, notamment en milieu urbain. Cependant, cette évolution s’explique moins par une prise de conscience écologique ou sanitaire que par la peur de la contamination. Ce n’est donc pas un engagement volontaire en faveur de la biodiversité qui a motivé ces choix, mais un réflexe de protection individuelle face à l’incertitude. En ce sens, la faune n’a pas bénéficié d’une victoire acquise, mais plutôt d’un sursis, né d’une crise mondiale.
De plus, cette réduction n’a pas été uniforme. Dans certaines zones rurales de la RDC par exemple, un tiers des personnes interrogées ont déclaré avoir augmenté leur consommation de viande de brousse durant la même période. La cause principale : la hausse des prix de la viande domestique et le manque d’alternatives accessibles. Il est peu probable que le Gabon, malgré ses efforts en matière de conservation, ait été totalement épargné par cette réalité, notamment dans ses provinces forestières, où la viande de brousse reste une ressource vitale.
Par ailleurs, la pandémie a mis en lumière un autre décalage : celui entre les discours officiels relayés dans les médias et la perception réelle des populations. L’étude du CIFOR-ICRAF et l’Université d’Oxford qui permet d’apprécier la réalité décrite dans cet article a également montré que les journalistes, bien qu’actifs sur la question, n’étaient pas perçus comme des sources fiables par les populations interrogées. Les messages relayés manquaient souvent de preuves concrètes et peinaient à convaincre. De leur côté, les choix alimentaires restaient déterminés principalement par des critères comme le prix, la disponibilité et les préférences gustatives. Cette tendance s’est aussi observé au Gabon, où la parole institutionnelle rencontrait parfois la méfiance ou l’indifférence des citoyens, surtout lorsque les enjeux de survie quotidienne primaient sur les préoccupations environnementales.
Face à ce constat, une question s’impose : faut-il réellement une pandémie mondiale pour pousser les humains à modifier leurs comportements de consommation ? La Covid-19 a démontré que la peur pouvait être un levier puissant, capable de faire évoluer, temporairement, certaines pratiques. Mais une fois la menace immédiate écartée, les habitudes reprennent leur cours. Sans solutions alternatives concrètes, les efforts de conservation risquent de rester symboliques. Dans les faits, la chasse reste rentable, la viande de brousse demeure prisée, et les alternatives bon marché se font attendre.
Pour le Gabon, reconnu pour ses politiques de préservation forestière, ce contexte constitue à la fois un défi et une opportunité. La pandémie a ouvert une brèche, une occasion d’engager un dialogue sincère entre les impératifs de conservation et les besoins des populations. Mais pour transformer cette trêve en dynamique durable, il ne suffira pas d’interdire ou de sanctionner. Il faudra proposer, accompagner, et surtout comprendre. Comprendre que la protection de la faune ne pourra se faire contre les communautés, mais avec elles. Comprendre aussi que la nature ne peut rester sous perfusion de crises pour espérer respirer.
On peut se le dire, la pandémie a servi d’alerte. Elle a montré les liens étroits entre nos habitudes de consommation, la santé humaine et l’état de la biodiversité. Mais si elle a ralenti, pour un temps, l’érosion de la faune, elle n’a pas inversé la tendance. La vraie victoire, celle de la cohabitation durable entre les humains et leur environnement, reste à construire. Et elle ne viendra pas d’un virus, mais d’un choix collectif et conscient.
Wilfried Mba Nguema