Dans le sillage de la transition vers une économie durable, le Gabon multiplie les initiatives pour valoriser ses ressources naturelles, à commencer par ses étendues de forêt. La récente visite d’une délégation du programme britannique Partnership for Forests (P4F) illustre cet engouement. Doté d’une enveloppe d’un milliard de livres sterling, ce programme international vise à soutenir l’investissement privé dans les paysages forestiers tropicaux, notamment en Afrique.
Au cœur des discussions avec l’Agence Gabonaise pour le Développement de l’Économie Verte (AGADEV), dirigée par Cyrielle P. Sende Etali, figurait l’un des secteurs les plus prometteurs et pourtant sous-exploités du pays : celui des produits forestiers non ligneux (PFNL). Ces ressources naturelles — fruits, graines, écorces, huiles, résines, miel…— sont présentes en abondance dans la forêt gabonaise et sont utilisées depuis des générations par les populations autochtones et communautés rurales pour leur alimentation, leurs soins ou encore leurs activités économiques.
Aujourd’hui, ces produits attirent l’attention des industries cosmétiques, pharmaceutiques et agroalimentaires à l’échelle internationale. Cependant, malgré leur potentiel, ces ressources forestières sont exploitées de façon informelle et peu structuré. En effet, de nombreux producteurs locaux témoignent du manque d’organisation des circuits de collecte, de transformation et de commercialisation. Ce constat met en lumière les limites d’un système qui n’a pas encore su faire émerger une véritable filière nationale.
Dans ce contexte, la valorisation des PFNL ne saurait se résumer à des enjeux économiques. Elle repose également sur la reconnaissance et la transmission des savoirs traditionnels détenus par les populations « indigènes » et rurales. Ces connaissances, souvent transmises oralement, représentent un patrimoine immatériel majeur pour la préservation des écosystèmes. Plusieurs ONGs comme OELO ou Mbou-Mon-Tour œuvrent déjà pour documenter ces pratiques et sensibiliser les communautés à une gestion durable des ressources. Pourtant, leurs actions, bien que précieuses, restent isolées et peu soutenues. Or, sans reconnaissance des savoirs autochtones, la filière PFNL risque d’être vidée de son âme et de sa durabilité. Ce, d’autant plus que l’arrivée des investissements étrangers dans ce secteur, si elle n’est pas encadrée, pourrait créer des effets pervers.
La pression commerciale sur certaines espèces végétales devient préoccupante. Dans les provinces de l’Estuaire et du Haut-Ogooué, par exemple, la demande croissante pour des essences comme le Moabi ou l’Okoumé aromatique dépasse parfois leur capacité de régénération. En l’absence de régulation stricte, de cartographie des ressources ou de mécanismes de surveillance communautaire, le secteur court le risque de reproduire les dérives d’un modèle extractif peu soucieux de l’environnement. C’est dans ce contexte que s’inscrit la mission annoncée dans l’Ogooué-Lolo, qui réunira l’AGADEV, l’ANPN, la délégation de P4F et certains acteurs privés.
Cette opération est présentée comme une avancée concrète dans la mise en œuvre de la stratégie nationale d’économie verte. Toutefois, elle interroge : quelle sera la place réelle des PME, des ONGs et des coopératives locales dans cette dynamique ? Les critiques récurrentes sur le manque d’accès à l’information, la complexité des procédures de financement ou encore l’exclusion des organisations locales des cercles de décision reviennent avec insistance. On parle de développement local, mais on planifie tout depuis Libreville avec des cabinets étrangers. Il est peut-être temps de faire confiance aux hommes du terrain.
Dès lors, pour faire des PFNL un pilier de l’économie verte gabonaise, plusieurs conditions devront être réunies. Il faudra d’abord investir massivement dans le renforcement des capacités locales, tant sur le plan technique que sur le plan organisationnel. Il faudra aussi structurer les filières existantes autour de coopératives solides, mettre en place des mécanismes de certification, assurer une meilleure répartition des bénéfices, et surtout garantir la reconnaissance juridique des savoirs traditionnels. Par ailleurs, la participation des ONGs et des PME locales devra devenir systématique dans la conception, le suivi et l’évaluation des projets.
L’AGADEV, de par sa position stratégique, pourrait jouer un rôle déterminant dans cette transition. Elle peut devenir le véritable trait d’union entre les exigences des bailleurs internationaux et les réalités vécues sur le terrain. La mission prévue dans l’Ogooué-Lolo pourrait ainsi servir de test grandeur nature : le Gabon saura-t-il faire de sa transition écologique un modèle inclusif, fondé sur ses propres forces vives ? Ou laissera-t-il cette opportunité être captée, une fois encore, par des acteurs extérieurs au détriment de ceux qui vivent au cœur même des forêts qu’il entend valoriser ?
Wilfried Mba Nguema