Ils sont là, discrets, souvent ignorés, parfois piétinés, et pourtant essentiels. Les caniveaux. À Libreville, ils devraient être les artères de la ville, celles qui évacuent l’eau, soulagent les sols et protègent les vies. Mais aujourd’hui, ce sont des artères bouchées, envahies de détritus, abandonnées par l’attention publique. Et quand la pluie tombe ? ce abandon se fait de plus en plus ressentir.
Chaque saison des pluies, les mêmes images reviennent : routes inondées, quartiers coupés du reste, enfants qui pataugent dans les eaux usées pour aller à l’école. À première vue, on pourrait croire à une fatalité tropicale. Mais à y regarder de plus près, c’est une chaîne de responsabilités humaines qui se dessine. Car ces inondations, ne sont pas uniquement dues aux caprices du climat : elles sont aussi les conséquences d’un oubli collectif.
Libreville dispose pourtant d’entreprises de nettoyage urbain. Des sociétés comme Accord Environnement, Clean Africa, AGLI ou d’autres intervenant régulièrement dans le balayage des rues, des trottoirs et des marchés. Mais leur champ d’action s’arrête là. Les caniveaux ? Ce n’est pas leur affaire. Ces infrastructures pourtant essentielles au bon écoulement des eaux pluviales, sont laissées à l’abandon. Aucun service clairement dédié, aucun mandat permanent, aucune spécialisation. Résultat : les ordures s’y entassent, l’eau stagne, et les quartiers cri à l’aide.
Les zones comme la Gare Routière, Rio, IAI, Oloumi, Nzentg-Ayong, Akanda sont parmi les victimes de cette défaillance. À chaque forte pluie, ces quartiers se transforment en lacs temporaires. Les habitants, eux, n’ont pas le choix : ils improvisent, surélèvent leurs étals, certains se déchaussent, soulèvent ou enlèvent leurs pantalons, détournent l’eau à la pelle, d’autres attendent que le niveau de l’eau baisse pour traverser. Des gestes de survie qui ne remplacent pas une vraie politique d’assainissement.
Il est peut-être temps de poser la question frontalement : ne faudrait-il pas créer une entreprise spécialisée uniquement dans le curage et l’entretien des caniveaux ? Une entité capable d’intervenir avec méthode, de cartographier les zones critiques, d’agir avant la catastrophe plutôt qu’après. Car l’eau ne fait pas dans le détail. Quand elle monte, elle emporte tout : poubelles, boue, sable, et espoirs. Elle rappelle que les infrastructures les plus modestes — ces simples caniveaux — sont en réalité des maillons clés d’un équilibre urbain fragile.
Alors, il serait peut-être temps de les écouter, ces caniveaux. Ils ne parlent pas, mais ils alertent. Par leurs débordements, leurs odeurs, leurs silences. Ce sont des indicateurs précieux de notre rapport à l’environnement urbain. Et si nous prenons enfin soin d’eux, peut-être apprendrons-nous aussi à mieux habiter la ville, ensemble.
Wilfried Mba Nguema