Le projet annoncé de construire trois ports de pêche modernes, à Mayumba, Port-Gentil et Libreville, est présenté comme un tournant pour l’« économie bleue » gabonaise. Il permettra d’améliorer les capacités de débarquement, la chaîne du froid, la transformation locale et la réduction des importations. Au-delà de ces promesses économiques, l’enjeu central est désormais environnemental et institutionnel : comment faire de ces infrastructures un levier réel de développement durable, et non une simple accélération de la surexploitation et des inégalités ?
La communication officielle insiste sur la structuration du secteur, le développement de l’aquaculture et le renforcement du contrôle des pêches, appuyés par des financements innovants comme les « obligations bleues ». Elle reste toutefois silencieuse sur des points essentiels tels que les études d’impact cumulatives, la participation des communautés, les critères d’attribution des marchés ou encore les mécanismes de transparence liés à la conversion de dette. Ces éléments seront déterminants pour garantir que la modernisation soit réellement durable.
La question de la gestion des ressources reste tout aussi centrale. Un port moderne sans suivi scientifique des stocks peut accentuer la pression sur des ressources déjà fragiles. Des évaluations régulières, l’instauration de quotas réalistes et la lutte contre la pêche illégale apparaissent indispensables pour concilier infrastructures, visées économique et sociale, recherche et conservation.
Les risques écologiques liés aux infrastructures sont également connus. Dragage, pollutions portuaires et destruction possible de mangroves nécessitent des mesures strictes de prévention et de compensation. L’aquaculture, perçue comme une alternative, devra également être encadrée pour éviter les effets négatifs tels que la pollution des eaux ou l’introduction d’espèces invasives.
Sur le plan social, les ports devraient générer de nombreux emplois et renforcer la valeur ajoutée locale. Mais ils posent aussi des défis, notamment l’intégration des pêcheurs artisanaux et des femmes, actrices majeures de la transformation et de la commercialisation. Leur inclusion effective sera un facteur clé de réussite.
La conversion de dette en obligations bleues représente une innovation majeure. Mais elle appelle des garanties fortes en matière de gouvernance : transparence dans la gestion des fonds, mécanismes d’audit indépendants et suivi public régulier. Sans ces garde-fous, le dispositif risquerait de rester un simple outil financier sans effet concret sur la durabilité.
Les trois ports peuvent ainsi constituer une véritable rupture en faveur d’une économie bleue résiliente et équitable pour le Gabon. Mais leur succès dépendra de la capacité des autorités à allier infrastructures, gouvernance et protection des écosystèmes. Sans cela, l’initiative pourrait au contraire accélérer des dynamiques non durables, compromettant la ressource que le pays entend valoriser.
Séraphin Lame