Un nouveau drame vient endeuiller la province du Woleu-Ntem. À Mitzic, dans le département de l’Okano, Janvier Nguema, habitant du village Oboui, a été tué par un éléphant en pleine forêt. Il s’agit de la troisième victime humaine en l’espace de deux semaines, après des attaques similaires à Atout et Ekouk-Egong.
Cette série meurtrière relance avec force, la question du conflit homme-faune (CHF) au Gabon, qui prend une ampleur inquiétante dans le nord du pays. À Oboui, la douleur est vive : Janvier Nguema était connu pour sa bravoure et son attachement à la nature. Sa disparition symbolise un déséquilibre grandissant entre les communautés rurales et une faune autrefois respectée mais désormais redoutée.
Un phénomène en hausse dans tout le pays
Selon les données du ministère des Eaux et Forêts, plus de 60 attaques d’éléphants ont été recensées depuis le début de l’année 2025 sur l’ensemble du territoire, causant une dizaine de morts et d’importants dégâts matériels. Les provinces du Woleu-Ntem, de la Ngounié et de l’Ogooué-Ivindo figurent parmi les plus touchées.
Le rapport 2023 de la FAO sur la cohabitation homme-faune en Afrique centrale souligne que la déforestation, la fragmentation des corridors écologiques et les changements climatiques poussent de plus en plus d’éléphants à s’aventurer dans les zones habitées. Au Gabon, où la population d’éléphants est estimée à plus de 95 000 individus — soit près de 60 % de la population d’éléphants de forêt d’Afrique, la pression sur les espaces agricoles devient intenable. « Nous faisons face à une situation paradoxale : un succès écologique devenu un drame social », reconnaît un responsable de la Direction générale de la faune et des aires protégées (DGFAP).
Des populations rurales à bout de souffle
Dans les villages de Mitzic, la peur est désormais quotidienne. Les champs sont abandonnés, la chasse et la pêche délaissées, et les enfants ne s’aventurent plus en forêt. « Jusqu’à quand faudra-t-il compter les morts avant que la voix des vivants soit enfin entendue ? », s’indigne une jeune fille du village d’Abang.
Les familles endeuillées dénoncent un sentiment d’abandon. Les barrières électriques installées dans plusieurs zones pilotes (comme à Ndendé et Bitam) ont certes permis de réduire temporairement les incursions, mais elles demeurent insuffisantes. Selon les associations locales, près de 40 % des champs de manioc et de banane plantain du département de l’Okano ont été détruits par des éléphants au cours des six derniers mois.
La réaction des autorités : entre empathie et impuissance
Réagissant à ce drame, le ministre des Eaux et Forêts, le colonel Maurice Ntossui Allogo, a exprimé sa « profonde compassion » envers les familles touchées et a annoncé le renforcement du dispositif de surveillance dans les zones les plus exposées. « Nous ne pouvons pas rester insensibles face à la détresse de nos compatriotes. Des équipes mixtes, composées de conservateurs et de militaires, seront déployées pour sécuriser les zones à risque », a-t-il déclaré à la presse.
Mais sur le terrain, les populations réclament des mesures concrètes et durables. Pour beaucoup, le dialogue entre conservation et sécurité humaine reste encore trop théorique. Le Plan national de gestion des éléphants, adopté en 2018 avec l’appui du WWF et de l’ANPN, prévoyait déjà la cartographie des zones de conflit et le développement de solutions communautaires. Six ans plus tard, sa mise en œuvre reste partielle, faute de moyens et de coordination interinstitutionnelle.
Un enjeu écologique et économique majeur
Les experts s’accordent : la multiplication des incidents est le symptôme d’un déséquilibre écologique profond. La déforestation, le braconnage et la conversion des terres pour l’agriculture ou les routes coupent les voies migratoires des éléphants. Leur comportement change : certains groupes, isolés ou stressés, deviennent plus agressifs.
L’économiste rural Jean-Claude Obiang, chercheur à l’Université de Masuku, estime que les pertes économiques liées aux conflits homme-faune s’élèvent à près de 4 milliards de francs CFA par an, entre destruction de cultures, perte de revenus et frais de sécurité. « Nous devons repenser notre modèle de conservation. Protéger les éléphants ne doit pas signifier condamner les populations rurales à vivre dans la peur », soutient-il.
Entre protection et survie : un équilibre à retrouver
Ce drame tragique rappelle une vérité dérangeante : la conservation ne peut réussir sans justice sociale. Le Gabon, souvent salué pour son engagement écologique — 88 % de couverture forestière et 13 parcs nationaux —, doit désormais concilier cet héritage environnemental avec les réalités humaines du terrain.
La mort de Janvier Nguema ne doit pas être une statistique de plus, mais un signal d’alarme pour une meilleure intégration des communautés dans la gestion de la faune. À Mitzic, le silence de la forêt a désormais un goût amer : celui de la peur et de l’incompréhension.
Wilfried Mba N.





