À Libreville, les bulldozers ont déjà entamé leur ballet dans les mangroves qui longent la future voie de contournement. Ce projet d’État, piloté par la présidence de la République et financé sur fonds publics, se veut une réponse aux besoins croissants en infrastructures. Pourtant, des voix d’expert en environnement, à l’exemple de celle de Louis Léandre Ebobola Tsibah s’élève pour rappeler que le progrès, lorsqu’il s’implante sur des écosystèmes fragiles, peut engendrer plus de périls que de solutions.
Dans une analyse récente, cet ancien directeur général de l’Environnement met en garde : « ignorer la fragilité d’un tel écosystème, et surtout la présence d’une conduite stratégique comme la DN800, expose non seulement l’environnement, mais aussi la sécurité des populations et des infrastructures vitales comme l’aéroport. » Ses propos placent au cœur du débat une question qui traverse l’histoire du développement : jusqu’où peut-on aller au nom de la modernisation, sans compromettre la durabilité et la sécurité publique ?
Un projet en zone sensible
Les mangroves ne sont pas de simples marécages à conquérir. Elles sont, pour reprendre les termes des écologues, de véritables infrastructures naturelles. Elles protègent les côtes contre l’érosion, servent de nurserie à une biodiversité riche, captent le carbone et filtrent les eaux. Détruire ces zones revient à priver la capitale d’un bouclier écologique dont l’importance dépasse largement le site du projet.
Mais ici, une contrainte supplémentaire alourdit le dossier : la présence d’une conduite d’eau potable DN800, posée à faible profondeur et sous haute pression, qui alimente le nord de Libreville et la commune d’Akanda. Toute rupture accidentelle risquerait de provoquer inondations, cratères, privation d’eau pour des milliers de foyers, et, plus grave encore, d’affecter la sécurité de l’aéroport international Léon Mba situé à proximité immédiate. Le projet soulève donc autant de risques environnementaux que sécuritaires.
La question de la cohérence
Le paradoxe ne manque pas d’interpeller. Ces derniers mois, les autorités ont mené des opérations musclées pour déloger des riverains, accusés d’occuper illégalement les mangroves. Comment comprendre, dès lors, qu’un projet d’État va à l’encontre des enjeux de sauvegarde des mangroves dont les ministères de l’Environnement et de la Pêche se battent pour préserver ? Louis Léandre Ebobola Tsibah y voit une contradiction majeure : sanctionner les faibles au nom de la loi tout en permettant à la puissance publique de s’en affranchir mine la cohérence des politiques environnementales et fragilise la légitimité de l’action de l’État.
L’éclairage de la loi et les alternatives possibles
La loi n° 007/2014 et l’arrêté n° 035/2020 imposent une Étude d’impact environnemental (EIE) préalable à tout projet dans une zone humide. Or, selon l’expert, une EIE ne doit pas être perçue comme un obstacle mais comme un instrument rationnel d’aide à la décision. Elle permet d’évaluer les risques, d’anticiper les conséquences et, le cas échéant, de compenser les atteintes. Ignorer cet outil revient à avancer à l’aveugle sur un terrain miné.
Face à ce constat, deux alternatives se dessinent alors pour l’Etat : suspendre les travaux le temps de mener une EIE complète, ou envisager une relocalisation du projet vers une zone moins sensible, comme le Cap-Caravane, qui offrirait de meilleures garanties de durabilité. Dans les deux cas, il s’agit de concilier le besoin en infrastructures et la préservation des écosystèmes, plutôt que de les opposer.
Développement et responsabilité
En dernière analyse, le débat dépasse le seul cadre technique. Il interroge la capacité d’un pays à conjuguer croissance et durabilité, urgence économique et responsabilité étatique. La modernité ne se mesure pas uniquement par le béton et les routes, mais aussi par la faculté à préserver les équilibres naturels qui conditionnent la vie collective.
Louis Léandre Ebobola Tsibah le rappelle avec force : « protéger nos mangroves et nos infrastructures, c’est protéger à la fois notre environnement, notre sécurité et notre avenir collectif. » Derrière cette formule, se dessine un impératif qui touche au cœur de la gouvernance contemporaine : la nécessité de penser le développement non pas contre la nature, mais avec elle





