L’année 2010 est perçue comme la ligne de départ de « l’émergence » tant souhaitée par les anciennes autorités gabonaises. Cette période marque, aussi, malheureusement, le début d’un phénomène qui a pris de l’ampleur et s’est répandu à l’ensemble du pays : celui de la cession des terres aux communautés étrangères dites « amies ». Plus d’un million d’hectares de terre seraient touchés par ce phénomène, au point d’expliquer les conflits perceptibles ici et là, faisant des Gabonais l’un des peuples les plus dépossédés de leurs terres au monde.
Aux Américains l’Amérique, aux Gabonais le Gabon. Cette conception des choses, qui définit les limites des frontières entre les territoires et engage l’appartenance et le bien-être des peuples à leur terre d’origine, ne semble pas valable pour les Gabonais. Entre appropriation, accords douteux et corruption autour des acquisitions foncières, les citoyens font face au Gabon, à un cocktail explosif, parfois source de conflits.
Il y a quelques années, « L’Atlas des Afriques », réalisé par Le Monde Afrique et l’hebdomadaire La Vie, alertait déjà sur ce basculement. Avec plus d’un million d’hectares de terres vendues ou louées, le Gabon figure parmi les pays les plus dépossédés de leurs terres au monde. Il fait d’ailleurs partie de la courte liste des dix pays les plus touchés, selon cette étude.
Des terres nationales cédées à des intérêts étrangers
La France, la Chine, les États-Unis, l’Italie, l’Inde, Singapour et d’autres pays se taillent la part belle des terres gabonaises pour la construction, l’agriculture, l’exploitation forestière, minière ou pétrolière.
Depuis les années 2000, le phénomène évolue dangereusement, du fait de l’implication croissante d’acteurs étrangers, notamment les multinationales, les entreprises tiers et les promoteurs immobiliers. Dans le domaine forestier par exemple, environ 74% des superficies exploitées appartiennent à des entreprises asiatiques.
À ces acquisitions, s’ajoutent les « deals » de quartiers, souvent conclus entre des promoteurs immobiliers et des propriétaires terriens nationaux en quête d’argent. Ce phénomène, qui prend des proportions inquiétantes, profite certes à l’économie à court terme, mais risque d’avoir, à moyen et long terme, des répercussions sociales majeures pour les Gabonais.
Des tensions foncières de plus en plus visibles
Depuis quelques années, cette crainte se formalise par la multiplication des conflits fonciers dans le pays. Ces conflits opposent souvent des ressortissants étrangers – notamment libanais, sénégalais ou asiatiques – à des communautés locales.
Le dernier en date, survenu au Cap des Pères, au nord de Libreville, met en lumière les dérives d’un système d’appropriation et d’expropriation foncière entretenu par certains responsables publics. Dans cette affaire, une communauté Benga, présente de manière ancestrale sur le site querellé, se voit menacer d’expulsion au profit d’un ressortissant étranger « Sénégalais ». L’affaire fait débat et l’arbitrage des plus hautes instances de la République est attendu.
Les institutions nationales chargées de délivrer les documents de régularisation foncière sont, une fois de plus, pointées du doigt. Certains y voient leur implication directe, gage de l’assurance du propriétaire présumé. D’autres par contre pointe du doigt le laxisme familial ayant prévalu cette situation.
Un désordre foncier à l’image d’un État laxiste
De la Palestine à Israël, en passant par l’Inde, au Burkina Faso à la Côte d’Ivoire et bien d’autres pays, la question du foncier a souvent été au cœur de vives tensions. Le cas du Gabon n’échappe pas à cette réalité.
Pour de nombreux observateurs, le laxisme de l’État dans la sécurisation des terres nationales serait la principale cause de ce désordre. Pour tenter d’y remédier, le président de la République, durant la période de transition, avait interdit la vente de terrains aux étrangers. Cependant, entre application incomplète, manque de fermeté et corruption persistante, cette mesure peine à produire les effets escomptés.
Michael Moukouangui Moukala





