Représentant près de 70 % des captures débarquées et générant plus de 30 000 emplois directs, la pêche artisanale est au cœur de la sécurité alimentaire et de la durabilité écologique au Gabon. Mais derrière ces chiffres impressionnants se cache une réalité complexe : celle d’un secteur stratégique encore peu structuré, où la majorité des acteurs sont des expatriés et où l’enjeu de souveraineté reste à conquérir.
Hier, lundi 14 juillet 2025, le Gouvernement a marqué un tournant dans sa politique de valorisation de la pêche artisanale en organisant une journée de réflexion inédite autour de ce secteur longtemps resté en marge des priorités nationales. Présidée par Laurence Ndong, ministre de la Mer, de la Pêche et de l’Économie bleue, la rencontre a permis de réunir les pêcheurs, mareyeurs, vendeurs de poissons, institutions publiques et partenaires techniques autour d’une même table pour discuter des défis et perspectives de cette activité vitale.
Laurence Ndong, la Ministre de la Mer, de la Pêche et de l’Économie bleue
Un secteur à fort potentiel mais sous-valorisé
Avec 900 kilomètres de côtes, un potentiel halieutique considérable et des milliers d’années de traditions maritimes, le Gabon possède des atouts pour faire de la pêche artisanale un moteur de son économie bleue. Cette branche représente aujourd’hui 70 % des captures de poissons débarquées et emploie plus de 30 000 personnes directement.
Mais cette contribution ne se reflète pas encore dans les équilibres sociaux et économiques du pays. Selon les données statistiques issues de la recherche, environ 80% des pêcheurs artisanaux opérant au Gabon sont des expatriés, révélant une marginalisation de la population locale dans l’exploitation de cette ressource pourtant stratégique. À cela, s’ajoute une forte informalité du secteur, avec des chaînes de valeur peu structurées, des mécanismes de prix instables et une gouvernance encore trop centralisée.
Une réponse politique axée sur la structuration et la souveraineté
Face à ce constat, le gouvernement semble vouloir changer de cap. Lors de la journée de réflexion, plusieurs mesures structurantes ont été annoncées. Parmi lesquelles : la formalisation des acteurs, l’incitation à la création d’entreprises pour accéder au financement via la BCEG, la mise en œuvre d’une mercuriale officielle des prix, ainsi que la création d’une brigade mixte de surveillance pour renforcer la régulation.
Un projet phare, Gab Pêche, a également été lancé pour appuyer le développement local et la structuration de la filière. Un centre national des métiers de la mer verra le jour à Mayumba, avec des formations continues à la clé, en plus d’une réforme attendue du cadre légal et d’un nouveau plan d’aménagement des zones de pêche fondé sur l’évaluation régulière des stocks halieutiques.
L’enjeu est double : faire de la pêche artisanale un levier de croissance inclusive, mais aussi un instrument de souveraineté. « Il faut que les Gabonais se réapproprient leur mer », a insisté la ministre, appelant à une gouvernance plus participative, au respect des lois par les communautés étrangères et à une transformation du secteur en pilier de l’économie nationale.
Un plaidoyer national qui s’inscrit dans une dynamique globale
La volonté du Gabon d’ancrer la pêche artisanale dans une vision durable ne s’arrête pas à ses frontières. À Nice, lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3), la ministre Laurence Ndong plaidait déjà pour une gestion durable et partagée des ressources halieutiques. « La pêche artisanale est une force, pas une fragilité », avait-t-elle affirmé, soulignant son rôle de grenier pour les populations côtières, sa proximité avec la nature, et la richesse de ses savoirs empiriques.
Dans cette optique, le Gabon a récemment ratifié l’Accord sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ), renforçant ainsi ses engagements internationaux en matière de conservation des écosystèmes marins.
Un équilibre à rétablir pour une économie bleue durable
Si les ambitions sont claires et les annonces prometteuses, le défi reste immense. Le développement durable de la pêche artisanale gabonaise devra nécessairement passer par une réappropriation nationale du secteur, une structuration des chaînes des valeurs, et une meilleure inclusion des communautés locales dans les mécanismes de gouvernance.
Entre tradition et innovation, enjeux économiques et impératifs écologiques, la pêche artisanale se révèle être bien plus qu’une simple activité de subsistance. Elle est un levier stratégique pour la souveraineté, la résilience et l’identité maritime du Gabon. Encore faut-il que la volonté politique se traduise durablement sur le terrain.
Wilfried Mba Nguema