Deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie, le Bassin du Congo concentre un potentiel écologique et économique estimé à plus de 23 000 milliards de dollars selon un récent rapport de la Banque mondiale. Une richesse immense, mais dont les retombées locales demeurent dérisoires, révélant un déséquilibre croissant entre contribution mondiale et bénéfices nationaux.
S’étendant sur six pays – le Cameroun, la République démocratique du Congo (RDC), le Congo, le Gabon, la République centrafricaine (RCA) et la Guinée équatoriale – le Bassin du Congo représente près de 220 millions d’hectares de forêts tropicales. D’après la Banque mondiale, ces écosystèmes fournissent chaque année, plus de 1 000 milliards de dollars de services écosystémiques, dont 90 % liés à la régulation du climat mondial.
« Pour la première fois, les pays du Bassin du Congo ont élaboré une comptabilité complète de leurs écosystèmes forestiers », a indiqué Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. « Si elles sont gérées durablement, ces forêts peuvent devenir de puissants leviers de croissance et d’emplois », ajoute-t-il.
Ces données confirment le rôle central du Bassin du Congo dans la lutte contre les réchauffements climatiques. La région stockerait à elle seule près de 80 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de plusieurs années d’émissions mondiales.
Une richesse mondiale aux retombées locales limitées
Malgré cette valeur planétaire, les pays du Bassin du Congo ne tirent que peu de profit de leur capital naturel. En 2020, les revenus issus des activités forestières (bois, écotourisme, produits forestiers non ligneux) s’élevaient à environ 8 milliards de dollars, soit moins de 0,05 % de la valeur globale des ressources.
Le rapport de la Banque mondiale, intitulé « Bassin du Congo : comptes écosystémiques forestiers et recommandations politiques », alerte sur ce paradoxe et invite les États à mieux intégrer la valeur de la nature dans leurs politiques économiques.
« Nous ne pouvons gérer que ce que nous pouvons compter », rappelle Valerie Hickey, directrice du pôle Changements climatiques à la Banque mondiale. La comptabilité des écosystèmes, selon elle, doit permettre de mesurer la contribution réelle des forêts au développement et à l’emploi, tout en démontrant au monde la valeur des efforts de conservation déjà entrepris.
Des trajectoires contrastées dans la région
Le rapport souligne des dynamiques différenciées. Le Gabon et la République du Congo figurent parmi les bons élèves, avec un taux de déforestation inférieur à 0,1 % par an et des politiques de certification forestière reconnues. Le Cameroun et la Guinée équatoriale amorcent des réformes pour intégrer le capital naturel dans leurs stratégies de développement.
En revanche, la RDC et la RCA peinent à maîtriser la déforestation et l’exploitation illégale, sous l’effet combiné de la croissance démographique, des activités minières (illégales) et du manque de gouvernance. Selon la FAO, la RDC aurait perdu plus de 480 000 hectares de forêt par an entre 2015 et 2020.
Un enjeu mondial et africain
Au-delà de la protection environnementale, l’enjeu est économique et géopolitique. Les forêts du Bassin du Congo abritent près de 10 000 espèces végétales et plus de 400 mammifères, tout en fournissant des moyens de subsistance à près de 80 millions de personnes.
Des initiatives comme le Fonds bleu pour le Bassin du Congo, ou encore les programmes de paiements pour services environnementaux, visent à renforcer la valorisation durable de ces ressources. Mais leur succès dépendra, selon plusieurs experts, d’une coordination plus forte entre États, bailleurs et communautés locales.
« La valeur du vivant ne doit plus être perçue comme un patrimoine à exploiter, mais comme un capital à investir pour l’avenir », résume un consultant en développement durable basé à Kinshasa.
Transformer la richesse naturelle en prospérité durable
Le rapport de la Banque mondiale trace une voie : développer l’écotourisme, la transformation locale du bois, et la valorisation des produits forestiers non ligneux, tout en renforçant la gouvernance environnementale.
Encore faut-il que les pays du Bassin du Congo disposent des moyens politiques et financiers pour concrétiser ces ambitions. Sans cela, leur forêt restera un « trésor mondial » dont les bénéfices échapperont encore longtemps à ceux qui en sont les gardiens.
Wilfried Mba N.






